AUX ORIGINES D’UN CHOC SONORE
Dans les quartiers animés de Kinshasa, entre tôles ondulées et ondes saturées, un son étrange a jailli un jour. Un son brut, amplifié à la limite du larsen, et pourtant hypnotique, viscéral. Ce son, c’est celui de Konono N°1, groupe congolais né dans les années 1960, mais qui continue de faire trembler les murs et d’électriser les foules du monde entier.
Fondé par Mingiedi Mawangu, ancien joueur de likembé dans les fanfares traditionnelles du peuple Bazombo, Konono N°1 est né d’un défi simple mais révolutionnaire : rendre audible une musique traditionnelle dans le chaos urbain de Kinshasa. Pour cela, ils ont bricolé. Fait maison. Amplifié. Et ainsi est née une esthétique : le bricolage sonore comme art de vivre.

DES INSTRUMENTS FAITS MAIN, UNE ÉNERGIE BRUTE
La magie de Konono N°1 commence par ses instruments : des likembés (pianos à pouces) montés sur des micros récupérés dans des carcasses de voitures, des amplis rudimentaires, des haut-parleurs distordus, des tambours en bidons, le tout conçu avec l’ingéniosité des rues africaines.
Mais ce que d’autres appelleraient “bruit”, eux en ont fait un langage, un style, une transe. Leur son est une collision de l’ancien et du nouveau, une danse tribale passée à l’électricité. On n’écoute pas Konono N°1, on entre en vibration avec eux.

QUAND LE MONDE DÉCOUVRE KINSHASA AUTREMENT
Pendant des années, Konono N°1 joue dans les rues, lors de cérémonies, dans les fêtes populaires. Mais dans les années 2000, tout change. Grâce à la scène musicale alternative mondiale et au label belge Crammed Discs, le groupe explose à l’international — en 2004, leur album “Congotronics” fait l’effet d’un choc dans les circuits indépendants européens. Musiciens électroniques, rockeurs, DJs, tous s’inclinent devant ce son sauvage et pur, cette techno analogique sortie tout droit des faubourgs congolais. Le monde découvre alors une Afrique moderne, inventive, radicalement contemporaine.
Konono N°1 devient une référence : de Radiohead à Björk, nombreux sont ceux qui les citent ou collaborent avec eux. Et pourtant, eux, ne changent rien. Leurs outils restent rudimentaires, leur énergie intacte — et surtout, Konono N°1 est à ce jour le seul groupe congolais à avoir remporté un Grammy Award, une reconnaissance majeure qui scelle leur place dans l’histoire mondiale de la musique. Une récompense qui ne les a pas éloignés de leurs racines, mais qui a amplifié leur voix, leur portée, leur mission.

UNE MUSIQUE DE TRANSE, DE FEU ET DE RÉSISTANCE
Ce que Konono N°1 offre au public, ce n’est pas juste de la musique : c’est une expérience sensorielle, une transe primitive, une lumière dans le chaos. Ils sont les enfants du bruit, mais le bruit sacré, celui qui vient du fond des âges, porté par la poussière, l’électricité et la foi.
Leur musique est aussi une forme de résistance : résistance à l’uniformisation, au silence, à l’invisibilisation des cultures populaires africaines. Konono N°1, c’est le cri joyeux de Kinshasa qui refuse de se taire.
UN HÉRITAGE VIVANT, ENTRE TRADITION ET FUTURISME
Aujourd’hui encore, même après la disparition de son fondateur, le groupe continue de tourner, de transmettre. Konono N°1 n’est pas un groupe figé, c’est une école de sons, un mouvement, une manière de penser le monde en pulsations.
Ils incarnent cette Afrique urbaine qui ne renie pas ses racines, mais les transforme, les électrise, les projette vers l’avenir. Dans chaque note saturée, dans chaque likembé hurlant, il y a une mémoire ancienne, une prière, une joie brute — Konono N°1, ce sont les forgerons du son, les bâtisseurs d’une modernité enracinée.

LE FUTUR A UN CŒUR AFRICAIN
Konono N°1 a prouvé que la tradition n’est pas figée, qu’elle peut devenir une force futuriste, un cri contemporain. Leur musique est une métaphore du Congo : chaotique, inventive, indomptable, profondément humaine.
Et tant que leurs likembés continueront de vibrer, le monde saura que Kinshasa ne dort jamais, que ses rues chantent encore, et que ses enfants peuvent créer de la beauté avec trois fils de fer et un vieux haut-parleur.