Il y a des artistes qui peignent avec des couleurs, d’autres qui sculptent avec la pierre. Mais Nec Jr Salai, de son vrai nom Nela Esthim Constant, façonne la douleur et l’espoir, mêlant la rudesse du réel à la fragilité de l’âme humaine. Ce nom, qui l’identifie le plus dans le monde artistique, résonne comme une signature marquée par l’engagement et la révolte. Né à Kinshasa, porté par le souffle des Beaux-Arts, il donne vie à des corps brisés, à des visages marqués par la détresse, à des silences lourds de cris enfouis. Dans son travail, l’ombre et la lumière s’étreignent, révélant la beauté tragique de ceux que le monde oublie trop vite.

LA OÙ LA PIERRE PLEURE
Dans la série BAYIBI NGA BO MWANA, c’est la terre elle-même qui semble gémir sous le poids des injustices. Enfants perdus dans les mines de Kolwezi, pères démunis devant la faim de leurs fils, mères courant dans la nuit pour sauver ce qui leur reste de vie… Chaque sculpture est un poème figé, une histoire gravée dans la matière, un instant suspendu entre l’espoir et le néant.
Il y a cet Homme allongé mort sur la roche avec son enfant. Les corps inertes, enlacés par la fatalité, reposent sur une pierre implacable, témoin silencieux d’une tragédie sans fin. La roche, dure et froide, contraste avec la tendresse fragile de cette dernière étreinte. Ici, le poids de la guerre écrase tout, et pourtant, une douceur demeure dans le détail des visages, dans la façon dont le père, même dans la mort, semble vouloir protéger son enfant.
Puis vient Père pensif avec son enfant affamé. Une sculpture où l’amour et l’impuissance se heurtent en un combat silencieux. Assis, courbé sous le poids de l’injustice, le père ne pleure pas, il pense. Il cherche une issue, une échappatoire, un miracle qui ne vient pas. À ses pieds, l’enfant, maigre, le regard tourné vers lui, comme une prière muette, un appel au-delà des mots.

LES MINES DE KOLWEZI, OÙ L’ENFANCE S’EFFACE
Trois jeunes garçons, courbés sous le poids de la terre, extraient à mains nues la poussière de leur avenir. Leurs corps d’enfants, pétris de fatigue, se confondent avec la roche qu’ils creusent. Dans cette œuvre, le temps est suspendu : l’enfance s’efface dans la pénombre des mines, avalée par un monde qui ne les voit pas. Leurs visages n’ont pas encore connu la vie, et déjà, ils portent les marques d’un labeur trop grand pour leurs épaules.
Et puis, il y a ce Buste d’une jeune fille qui pleure. Une larme de résine coule sur sa joue, figée pour l’éternité. Mais ce n’est pas une larme ordinaire : elle contient mille chagrins, mille vies brisées, mille espoirs trop vite soufflés. Ses traits délicats contrastent avec l’immensité de la douleur qu’elle porte. À travers elle, ce sont toutes les âmes meurtries qui pleurent, toutes celles qui n’ont jamais eu le droit à l’innocence.

LA MARCHE INFINIE DES MÈRES
Enfin, la sculpture d’une Mère se déplaçant avec ses deux enfants vient clore ce cortège de larmes et de silence. Elle avance, portant la vie sur ses épaules, traînant derrière elle la peur et l’incertitude. Son regard est rivé vers un ailleurs incertain, un avenir incassable qu’elle tente de reconstruire, pas après pas. Son corps, malgré la fatigue, refuse de s’effondrer : elle est la dernière rempart, la dernière lueur.
QUAND L’ART DEVIENT VOIX
Nec Jr Salai ne sculpte pas seulement la matière, il sculpte les consciences. Chaque œuvre est un cri silencieux, un appel à la mémoire collective, une prière pour ceux dont l’histoire ne s’écrit qu’en cicatrices. Il nous rappelle que l’art ne doit pas seulement être beau, il doit être nécessaire. Il doit questionner, bousculer, réveiller.
Dans son regard d’artiste, le monde n’est pas qu’un chaos aveugle : il est aussi un terrain de lutte, un espace où l’espoir survit dans les cendres de l’oubli. Derrière chaque silhouette sculptée, derrière chaque corps courbé sous le poids de l’existence, il y a un message : tant qu’il y aura des artistes pour témoigner, il y aura encore une chance de changer le monde.
Ainsi, dans l’ombre des tragédies, là où le silence pèse plus lourd que la pierre, Nec Jr Salai dresse ses œuvres comme des phares, illuminant les visages oubliés, les histoires que personne ne veut entendre. Et à travers elles, il nous rappelle que l’art, lorsqu’il touche au cœur de l’humanité, devient un cri que personne ne peut ignorer.