TOUTES LES VÉRITÉS SUR UNE HISTOIRE MÉCONNUE
Il est des peuples dont l’histoire se raconte à voix basse, de peur qu’elle ne se brise. Les Banyamulenge sont de ceux-là. Nichés sur les hauts plateaux du Grand Kivu (le Nord et le Sud Kivu), à l’Est de la République Démocratique du Congo, ils sont des enfants de la terre et du vent, du silence et du soupçon. Leur nom résonne comme un murmure porté par l’écho des collines, une identité forgée dans le feu du doute et de l’appartenance contestée.
UNE MÉMOIRE NOMADE
Les Banyamulenge ne sont pas nés que d’un exil ; ils sont aussi nés dans le temps long des migrations, là où les frontières n’étaient que des sentiers battus par les troupeaux. Venus du Rwanda et du Burundi, ils ont trouvé refuge sur ces hauteurs bien avant que les cartes politiques ne figent les destins. Au fil des siècles, ils ont appris à parler le langage des brumes et des vallées, à se fondre dans le paysage sans jamais totalement disparaître.
Mais l’histoire, parfois, ne sait pas voir sans juger. Longtemps, on leur a refusé leur droit d’être Congolais, comme si l’enracinement ne suffisait pas, comme si les pierres elles-mêmes devaient témoigner de leur légitimité. Ils portent dans leur chair le poids de ce paradoxe : être chez soi et s’y sentir étranger.
Honoré Ngbanda, ancien conseiller du maréchal Mobutu, soulignait que les ethnies congolaises ne portent pas le nom des lieux, mais celui de leur langue, car à l’époque, les peuples étaient semi-nomades. Un fait qui rend encore plus singulière la dénomination « Banyamulenge », qui signifie « ceux des Mulenge ». Ce nom, géographiquement ancré, est souvent utilisé pour questionner leur appartenance à la nation congolaise, comme si la langue qu’ils parlent, le kinyarwanda, les en éloignait.

L’HÉRITAGE D’UNE MÉFIANCE : DE BISENGIMANA À AUJOURD’HUI
L’histoire de la méfiance envers les Banyamulenge ne se limite pas aux conflits armés ou aux tensions locales. Elle trouve ses racines dans un passé plus lointain, lorsque l’infiltration progressive de ressortissants rwandais dans les institutions congolaises a nourri un sentiment de défiance généralisé.
Sous le régime de Mobutu, un homme symbolise cette pénétration silencieuse du pouvoir par des élites rwandophones : Barthélémy Bisengimana. Conseiller influent et directeur de cabinet du président, il a joué un rôle clé dans l’intégration de nombreux Rwandais dans l’appareil d’État congolais. Cette période a marqué un tournant, instillant dans l’imaginaire collectif congolais l’idée que les Rwandophones cherchaient à s’imposer au sein des institutions et à affaiblir la souveraineté nationale.
Ce climat de suspicion s’est exacerbé avec les conflits des années 1990 et l’intervention du Rwanda dans la guerre en RDC. Pour beaucoup de Congolais, les Banyamulenge sont alors devenus les symboles visibles d’une présence rwandaise perçue comme intrusive et menaçante. Peu importe leur histoire propre ou leur enracinement ancien dans le Kivu : aux yeux d’une partie de la population, ils incarnaient désormais ceux qui fragilisaient le pays de l’intérieur.

LE TUMULTE ET LA TERRE
Les Banyamulenge sont une communauté que l’on a souvent définie par ses conflits plutôt que par ses traditions. Dans les années 1990, quand la région des Grands Lacs s’est embrasée, ils ont été pris dans la tourmente. Accusés d’être l’ombre du Rwanda sur le Congo, soupçonnés de toutes les alliances, otages de toutes les trahisons. Certains ont pris les armes, d’autres ont fui. Mais tous ont appris que l’identité, parfois, se paie au prix du sang.
Leur nom est devenu un fardeau dans la Républiques Démocratiques du Congo. Trop rwandophones pour être Congolais aux yeux de certains. Une communauté suspendue entre les assignations, entre l’histoire et la politique, entre les discours et les silences.
Aujourd’hui encore, cette perception d’une infiltration rwandaise dans les institutions congolaises demeure vivace. Et pour beaucoup, les Banyamulenge continuent d’en porter le poids. Ils sont vus comme une cinquième colonne, un cheval de Troie rwandais sur le sol congolais. Leur simple présence suffit à raviver les blessures du passé, alimentant la méfiance et la peur d’une mainmise étrangère sur le destin national.

L’HORIZON ET L’ESPOIR
Mais au-delà des conflits, il y a le quotidien, les marchés où l’on troque des paroles en kinyarwanda et en swahili, les pâturages où les enfants courent derrière le bétail, les chants qui montent avec le vent. Il y a la foi en un avenir où l’on ne demandera plus aux Banyamulenge de prouver leur appartenance, où leur présence ne sera plus une question mais une évidence — car un peuple n’a pas besoin qu’on lui accorde le droit d’exister.
Il existe, tout simplement. Comme les collines qui l’ont vu naître, comme les rivières qui traversent son histoire — les Banyamulenge sont un peuple d’ici et d’ailleurs, enracinés dans un sol qui parfois les rejette, mais qu’ils continuent d’aimer. Car l’appartenance, au fond, n’est pas une question de reconnaissance politique. C’est un battement de cœur, un lien tissé entre une terre et ceux qui l’habitent.