Chimamanda sur le féminisme en Afrique

HAY-ON-WYE, ROYAUME-UNI – 09 JUIN : L’écrivain Chimamanda Ngozi Adichie assiste au Hay Festival le 9 juin 2012 à Hay-on-Wye, Pays de Galles. (Photo par David Levenson/Getty Images)

LE FÉMINISME AFRICAIN

Née au Nigéria, ce génie littéraire s’est rapidement imposé comme l’une des voix les plus importantes de sa génération. Chimamanda Ngozi Adichie a réussi l’exploit d’allier talent et détermination pour faire briller la lumière sur les expériences souvent négligées des femmes africaines. Elle a ouvert la voie à une nouvelle ère de narratrices audacieuses qui mettent en avant des perspectives souvent ignorées. Son livre à succès, Americanah, a décroché des éloges du monde entier, se tapant même une petite place sur la table de chevet de l’ancien président des États-Unis, Barack Obama (et soyons honnêtes, qui n’aimerait pas avoir son livre préféré recommandé par un président ?).

Mais ne vous méprenez pas, Chimamanda Ngozi Adichie est bien plus qu’une simple écrivaine à succès. Elle est surtout une féministe qui utilise sa position pour faire entendre le cri de révolte contre les inégalités de genre et bousculer les normes restrictives de la société. Elle tire parti de son propre parcours pour aborder des sujets brûlants tels que la violence domestique, le sexisme et le rôle des femmes dans la société africaine. Elle nous rappelle que le féminisme ne connaît pas de frontières et que les femmes africaines ont le droit d’être entendues et respectées autant que n’importe qui d’autre.

L’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie a reçu le prix spécial Afriche, lors de l’événement public au Teatro dell’Arte de la Triennale de Milan dans le cadre de la revue BookCity. Milan (Italie), 16 novembre 2019 (Photo par Elena Di Vincenzo/Archivio Elena Di Vincenzo/Mondadori Portfolio via Getty Images)

LE FÉMINISME N’EST PAS AFRICAIN !?

Dans une scène importante de son livre We Should All Be Feminists, Adichie a donné une leçon inoubliable à ceux qui prétendent que le féminisme n’a pas sa place en Afrique. Certains pensent que le féminisme n’est qu’un concept importé, comme si l’Afrique ne pouvait pas mener cette lutte pour l’égalité. Elle déclare haut et fort que son engagement envers le féminisme n’a pas été inspiré par des lectures étrangères, mais plutôt par son observation du monde qui l’entoure, depuis sa naissance au Nigeria. Elle a rapidement réalisé que les femmes étaient traitées injustement simplement en raison de leur sexe, ce qui a alimenté sa passion pour la cause.

Adichie nous rappelle que le féminisme en Afrique ne repose pas uniquement sur des figures occidentales célèbres. Non, non, non ! Elle souligne que le féminisme est ancré profondément dans l’histoire de chaque pays et dans le courage des femmes qui se sont toujours battues pour l’égalité des sexes, même si elles n’utilisaient pas le mot « féminisme ».  Chimamanda se réjouit que la conversation sur le féminisme prenne de l’ampleur en Afrique en général, et particulièrement au Nigeria, avec de plus en plus de jeunes femmes s’identifiant fièrement comme féministes, et même certains jeunes hommes rejoignant les rangs.

En utilisant le mot « féminisme », Adichie donne une voix à toutes ces femmes qui ont déjà remis en question les normes sociétales oppressives. Elle nous rappelle que le mariage n’est pas l’alpha et l’oméga de la vie d’une femme, que les ambitions des femmes ne doivent pas être étouffées pour protéger l’ego fragile des hommes. Et que nous avons élevé ces pauvres âmes pour être émotionnellement réprimées, leur enseignant qu’ils ne peuvent pas montrer leurs sentiments, qu’ils ne peuvent pas verser une larme si jamais ils se blessent. Ils doivent toujours être forts, virils, impassibles.

LONDRES, ANGLETERRE – 18 AVRIL : L’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie prononce un discours lors du Sommet sur le paludisme au 8 Northumberland Avenue, le 18 avril 2018 à Londres, en Angleterre. Le Sommet sur le paludisme se tient aujourd’hui pour inciter les dirigeants du Commonwealth à s’engager à réduire de moitié les cas de paludisme dans l’ensemble du Commonwealth au cours des cinq prochaines années, avec un objectif de 650 000 vies. (Photo par Jack Taylor/Getty Images)

LA MASCULINITE RIGIDE

Adichie se confie que dans cette course effrénée vers la masculinité rigide, les hommes se retrouvent sans exutoire émotionnel. Toute cette énergie refoulée explose, se convertissant souvent en violence. Ils se sentent obligés de montrer au monde qu’ils sont forts, qu’ils sont à la hauteur de ces fichues attentes. Et alors, pour essayer de correspondre à cette image, certains de mes amis à Lagos se lancent dans toutes sortes de transactions louches, empruntent de l’argent et se prêtent à toutes sortes de manigances financières. Tout simplement parce qu’ils pensent ne pas pouvoir admettre qu’ils sont en difficulté financière. C’est une chose lamentable, je vous le dis. Imaginez-vous, juste un instant, vivre dans une société où un homme pourrait simplement dire : “Hé, écoutes, je traverse une période un peu difficile en ce moment“. Où lui et sa partenaire pourraient se tenir la main, affronter les coups durs ensemble, comme on dit chez nous. Nous avons semé les graines de l’obligation d’assumer la charge financière, de devoir être fort en toute circonstance.

Toutefois l’auteure ne méprise pas les hommes, d’où sa citation phare : « Les hommes et les femmes sont différents. Nous n’avons ni les mêmes hormones, ni les mêmes capacités biologiques, les femmes peuvent avoir des enfants, les hommes non. Les hommes sécrètent de la testostérone et sont en général plus fort physiquement que les femmes. Il y a un peu plus de femmes que d’hommes dans le monde – elles constituent cinquante-deux pour cent de la population mondiale, pourtant les hommes occupent la plupart des postes importants ou prestigieux. »

PARIS – 21 SEPTEMBRE : L’auteur nigérian Chimamanda Ngozi Adichie pose lors de la promotion de son livre à Paris, France, le 21 septembre 2004 (Photo par Ulf Andersen/Getty Images).

LES FEMMES AFRICAINES DANS SES ÉCRITS

Chimamanda nous présente des femmes pleines de résilience et de détermination, prêtes à affronter les défis qui se dressent sur leur chemin. Elles ne sont pas simplement des figurantes dans le décor, non, elles sont les protagonistes de leur propre histoire et elles envoient valser les normes étriquées de la société. Ces femmes ne se laissent pas marcher sur les pieds, elles sont prêtes à se battre pour leurs droits et à remettre les pendules à l’heure.

Dans ses romans et ses nouvelles, l’auteure met en lumière les problèmes auxquels les femmes africaines sont confrontées au quotidien. Elle traite les discriminations basées sur le genre, les attentes sociétales oppressives et les luttes pour l’égalité. Adichie ne nous offre pas de clichés faciles ou de personnages unidimensionnels. Non, elle crée des femmes qui sont complexes, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs triomphes et leurs défaites. Elles ont des rêves, des espoirs et des aspirations qui ne se limitent pas aux normes imposées. Elles sont tour à tour douces et féroces, vulnérables et puissantes.

NEW YORK, NY – 6 SEPTEMBRE : David Remnick s’entretient avec Chimamanda Ngozi Adichie lors du Festival du New Yorker 2017 – Chimamanda Ngozi Adichie s’entretient avec David Remnick du New Yorker, le 6 septembre 2017 à New York. (Photo par Thos Robinson/Getty Images pour The New Yorker)

LES CRITIQUES DU FÉMINISME AFRICAIN ADRESSÉES À CHIMAMANDA

Certaines voix dissidentes se sont élevées pour remettre en question les idées d’Adichie concernant le féminisme africain. Elles l’accusent d’adopter une approche trop occidentale, de projeter des normes et des valeurs étrangères sur une réalité africaine complexe. Ces critiques soutiennent qu’Adichie négligerait les particularités culturelles et les spécificités régionales qui définissent les luttes féminines en Afrique. Elles soulignent l’importance de prendre en compte la diversité des expériences et des réalités vécues par les femmes africaines, au lieu de les regrouper sous une même bannière féministe.

Certains détracteurs lui reprochent également de se concentrer davantage sur les problèmes de classe moyenne, laissant ainsi de côté les femmes marginalisées et défavorisées. Ils sont là, l’air sérieux, à pointer du doigt et à réclamer une représentation plus juste des différentes couches de la société africaine dans les discours féministes. Et puis, il y a ceux qui affirment qu’Adichie ne se penche pas suffisamment sur l’intersectionnalité, c’est-à-dire sur les multiples oppressions auxquelles les femmes africaines peuvent être confrontées en fonction de leur classe sociale, de leur origine ethnique, de leur religion, etc. Une critique complexe, qui souligne l’importance de ne pas négliger ces dynamiques intersectionnelles dans les analyses féministes.

Mais ne nous voilons pas la face, il y a toujours des voix discordantes dans chaque débat. Ces critiques ne doivent pas être considérées comme une condamnation de l’ensemble de l’œuvre d’Adichie, mais plutôt comme des voix qui cherchent à élargir la perspective et à enrichir le dialogue sur le féminisme africain. Ce qui fait en réalité la force du débat féministe, c’est sa capacité à accueillir une multitude de voix et d’opinions. Aucune approche n’est parfaite, nous sommes tous en constante évolution, cherchant à nous éduquer et à nous sensibiliser. Alors, continuons à découvrir, à remettre en question et à débattre, tout en gardant à l’esprit que le féminisme africain est un vaste territoire, où chaque voix compte et a le droit d’être entendue.

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